Les évaluations standardisées sont devenues l’alpha et l’omega des politiques éducatives depuis 2017. Jean-Michel Blanquer en avait déjà fait sa marque de fabrique lors de son passage à la DGESCO et au cabinet du ministre pendant le mandat de Nicolas Sarkozy.
Pap Ndiaye, dès son arrivée au ministère en 2022, a annoncé leur extension à de nouveaux niveaux scolaires. A l’échelle internationale, les tests standardisés sont au coeur des propositions de théoriciens libéraux qui en font un outil majeur d’évaluation et d’amélioration des résultats des élèves.
Cet outil, pourtant, est décrié dans de nombreux pays, pour avoir un impact négatif sur l’École :
- rétrécissement des contenus éducatifs,
- pression accrue sur les personnels sont notamment évoquées parmi les principales critiques.
Qu’en est-il en réalité ?
L’UNSA Éducation a enquêté auprès de ses partenaires internationaux pour savoir comment ces tests étaient perçus dans les pays où ils sont en place depuis longtemps.
Nous avons ainsi contacté la National Education Association, qui rassemble 3 millions de personnels éducatifs aux Etats-Unis. Cette fédération d’associations locales est très engagée dans un combat pour l’école publique, pour le bien-être des élèves et pour la revalorisation des professions de l’éducation.
Christine Don Francesco, senior policy analyst pour la National Education Association des Etats-Unis et experte de cette question, a répondu aux questions de l’UNSA Éducation.
Pourquoi les évaluations standardisées sont-elles utilisées dans le système scolaire américain ?
Les tests standardisés sont arrivés dans les écoles américaines bien avant d’être adoptés par le gouvernement fédéral. L’expansion la plus notable des tests standardisés a eu lieu avec l’adoption de la loi « No Child Left Behind » (Ne Laisser Aucun Enfant Derrière) en 2001. Il s’agissait de réintroduire une loi du Congrès adoptée dans les années 1960 dans le cadre d’une vague de législation sur les droits civiques.
Depuis la loi NCLB, les élèves des écoles publiques américaines sont soumis à des tests annuels de lecture et de mathématiques de la troisième à la huitième année (entre 8 et 17 ans environ). L’objectif de ces tests annuels standardisés – en théorie – est d’évaluer les performances des écoles et d’identifier les écarts entre les différents sous-groupes d’élèves afin de s’assurer que les élèves ont des chances égales d’accéder à une éducation de qualité.
La loi nationale sur l’éducation intitulée « Every Student Succeeds Act » (ESSA), adoptée en 2015, a perpétué la tradition des tests annuels, en s’appuyant sur la conjecture selon laquelle ils permettent de savoir si les élèves progressent et s’ils ont besoin de ressources supplémentaires. La base d’intervention du gouvernement fédéral est de faire progresser l’équité en maintenant la transparence et le soutien pour les élèves américains issus de milieux défavorisés et à besoins éducatifs particuliers. Pour les partisans des tests, ceux-ci sont considérés comme un moyen de fournir aux familles des informations sur les progrès de chaque élève et de vérifier si leurs chances de réussite sont équitables par rapport à leurs camarades de la ville, de l’État et du pays.
Malheureusement, l’application de la loi laisse beaucoup à désirer en termes de réussite et d’égalité des chances. Entre les injonctions fédérales et celles des États, les écoles sont souvent contraintes de s’engager dans des semaines de tests standardisés qui perturbent la vie des écoles et réduisent l’apprentissage dans les bibliothèques, les gymnases et d’autres espaces, au profit d’un temps réservé aux tests, favorisant le “par cœur”. Les enjeux de l’évaluation annuelle sont si importants que de nombreuses écoles sont obligées de choisir entre se concentrer sur la préparation des élèves, pour qu’ils soient de bons candidats aux tests OU se concentrer sur l’accès à un programme d’études complet qui fasse aimer l’École aux élèves.
L’objectif des tests prévus par les lois NCLB et ESSA était peut-être de mettre en évidence les écarts de réussite entre les élèves et de favoriser l’amélioration des apprentissages à l’école, mais il en est résulté une culture qui consiste à blâmer les écoles publiques et les éducateurs qui y travaillent lorsque les résultats des tests des élèves sont inférieurs à la moyenne. Les résultats des tests à l’échelle de l’État alimentent les classements et les évaluations annuelles des écoles publiques qui peuvent mettre les écoles sur la voie dangereuse de la fermeture, de la privatisation. Ou même d’initiatives de « nouveau départ » dans le cadre desquelles la direction de l’école et/ou le corps enseignant sont démis de leurs fonctions pour laisser la place à un personnel entièrement nouveau.
Dans quelle mesure ces évaluations ont-elles permis d’améliorer la qualité de l’enseignement ?
La question de savoir si le système américain de “responsabilité” (accountability) fondé sur les tests a été efficace ou non est loin d’être réglée. La vice-présidente de la NEA, Princess Moss, s’est récemment exprimée sur cette question aux côtés d’un groupe d’experts et de défenseurs parmi les plus renommés du paysage éducatif américain.
La NEA estime qu’après avoir investi des centaines de millions (et probablement des milliards à l’heure actuelle) dans la théorie de “l’amélioration” par le biais de tests standardisés, il devrait être pleinement prouvé que cela a fonctionné. Si on se pose la question, alors la réponse est non, les tests standardisés ne sont pas et n’ont jamais été adaptés pour servir de base à un ensemble de décisions aussi vaste, allant de l’évaluation de l’efficacité des éducateurs à la détermination de l’aptitude des élèves à obtenir leur diplôme d’études secondaires, en passant par le classement d’écoles et de systèmes scolaires entiers.
Si vous posiez la question à nos 3 millions de membres, une écrasante majorité d’entre eux indiquerait probablement que les tests standardisés ne contribuent que très peu à donner des informations sur leur enseignement ou à stimuler l’enseignement et l’apprentissage. La NEA a mené une vaste enquête sur la question des tests standardisés tout au long de l’année 2022. Certaines de nos conclusions résument une grande partie des questions que vous vous posez peut-être sur l’existence d’un lien entre l’efficacité des éducateurs et l’objectif/l’utilisation des tests standardisés :
- 85 % des membres interrogés estiment que les tests standardisés sont un problème important pour les écoles publiques (non loin derrière l’impact du COVID-19, le comportement des élèves et les bas salaires).
- 75 % des membres ont exprimé une opinion défavorable à l’égard des tests standardisés.
- À la question de savoir s’ils aimeraient changer ou se débarrasser de notre dépendance à l’égard des tests standardisés, 89 % des membres ont répondu par l’affirmative (moins de 4 % des membres ont déclaré qu’ils aimeraient conserver les tests standardisés sous leur forme actuelle).
- 80 % des membres sont mécontents de la manière dont les résultats des tests standardisés sont utilisés (pour classer et trier les étudiants, les écoles et les éducateurs).
De nombreux États ont fait marche arrière en revenant sur des lois mal conçues. La ville de Granite, dans l’Utah, par exemple, s’est éloignée des évaluations de performance basées sur les tests pour confier aux éducateurs le soin de créer des évaluations formatives mieux adaptées pour stimuler l’apprentissage des élèves.
Quels sont les inconvénients que vous avez constatés après des décennies d’évaluations standardisées dans votre pays?
Les conséquences des tests standardisés sont perçues par les individus dans l’ensemble du système éducatif, qu’il s’agisse des élèves, des éducateurs ou des communautés entières. La profession d’enseignant a été témoin d’une érosion de l’autonomie et de l’action professionnelles qui a donné aux éducateurs le sentiment de ne pas être respectés et d’être déconnectés de la capacité à stimuler l’apprentissage des élèves.
Sachant que les résultats des tests standardisés ont une influence considérable sur le bien-être financier et la réputation d’une école, de nombreux chefs d’établissement sur-investissent dans la préparation des tests standardisés. Le coût d’opportunité d’un enseignement plus complexe, plus intéressant et plus pertinent est, et a été pendant des décennies, supporté par les élèves qui ne gagnent presque rien à participer à un processus qui a été prétendument inventé pour leur assurer l’accès à l’égalité des chances.
Les principaux inconvénients des tests? Le rétrécissement du programme d’études. L’augmentation du stress des élèves, de l’anxiété liée aux performances, avec un impact sur la joie d’apprendre et de la confiance en soi. Et ces tests ont aussi un impact négatif sur le métier en décourageant les éducateurs.
De plus, ces tests ne fournissent aucune information sur la manière de soutenir les écoles où les élèves ont des difficultés et où les besoins sont importants.
Malheureusement, les effets négatifs d’un système éducatif axé sur les tests vont bien au-delà des conséquences sur la santé socio-émotionnelle des élèves et sur leur confiance en eux. Le classement des écoles a des répercussions considérables sur nos communautés de voisinage.
Aux États-Unis, de nombreuses sociétés indépendantes publient des classements des écoles publiques sur la base de leurs données de tests standardisés. Ces classements sont intégrés aux sites web immobiliers, où les acheteurs potentiels peuvent consulter les données à côté des informations sur la superficie d’un logement qu’ils souhaitent visiter. Les tests standardisés sont devenus si étroitement liés à la perception qu’a le public de la qualité des écoles qu’il est très difficile de trouver des informations complètes sur l’offre scolaire et extrascolaire d’une école, et de savoir si les élèves sont en sécurité et heureux à l’école.
L’adhésion du corps enseignant, après des décennies d’utilisation, n’est vraiment pas acquise d’après les enquêtes de la NEA, notamment pour ce qui concerne le pilotage du système éducatif :
- 84 % des éducateurs ne sont pas d’accord avec l’utilisation des résultats des tests standardisés pour évaluer les performances des éducateurs ;
- 83 % ne sont pas d’accord avec l’utilisation des résultats des tests standardisés pour fermer une école ; 75 % ne sont pas d’accord avec l’utilisation des résultats pour évaluer les écoles.
Il n’y a pas que des mauvaises nouvelles. Les éducateurs américains sont des professionnels qui savent comment construire un meilleur système d’évaluation des forces et des besoins des élèves. Nous disposons d’un grand nombre d’outils et de moyens différents pour évaluer l’apprentissage des élèves ET stimuler leur curiosité et leur réussite. Après 20 ans de pilotage basé sur les tests, nous sommes convaincus que les tests standardisés n’ont pas permis de mettre en évidence des réussites globales et durables pour les élèves ou pour les écoles.
La NEA travaille d’arrache-pied pour promouvoir une vision d’à quoi ressemblerait un système qui inclurait de tels outils – des portfolios aux performances – et qui permettrait aux élèves de s’exprimer et de faire des choix dans le processus d’évaluation de ce qu’ils savent et de ce qu’ils peuvent faire.
La NEA regarde avec intérêt les efforts de nombreuses organisations pour développer des tests qui ont une logique différente, plus intéressante : ‘évolution du test PISA de l’OCDE pour prendre en compte le « critical thinking » ou encore les évaluations internationales de Cambridge qui prennent en compte l’étude d’un sujet en profondeur, la résolution de problèmes, les développements à l’écrit…
Nous pensons que la culture, la langue et le patrimoine doivent être valorisés et enseignés à l’école, et que la mesure de l’apprentissage des élèves peut et doit être valide, fiable ET socialement juste. Nous travaillons aux côtés d’un nombre croissant de dirigeants d’écoles, de districts et d’états qui appellent à des changements pour que notre système donne la priorité au soutien plutôt qu’aux sanctions.
Ressources pour aller plus loin :
Principles for the Future of Assessment | NEA
Reimagining the Future of Assessment (nsba.org)